de la Communauté de La Roque de Volx
au lieu actuel de Villeneuve
3 décembre 1443
La vallée de la Durance, dans la région de Manosque, est séparée de la vallée plus septentrionale du Largue par un fort bourrelet de collines dont l'altitude oscille entre 600 et 800 mètres. Ces collines sont la dernière expansion de la chaîne du Luberon et se terminent elles mêmes par l'imposante masse de rochers bien connue sous le nom de Rocher de Volx.
La rivière du Largue, dans son lent travail d’érosion à travers ces rochers pour aller se jeter dans la Durance, s'y est creusé un défilé qui, à sa partie la plus étroite, est surplombé du cote du levant par une énorme roche à pic connue dans le pays sous le nom de Roche Amère. A la cime de cette Roche Amère existait avant le quinzième siècle une communauté qui portait le nom de La Roque de Volx. Il existe peu de villages, même en Provence, dont la position soit plus escarpée et d'un accès plus difficile ; aussi ses habitants, d'accord avec le seigneur du lieu, jugèrent-ils à propos de rechercher un emplacement plus favorable à leur libre expansion ; et, après avoir découvert non loin de leur village la position rêvée, ratifièrent par un acte solennel et organisèrent la délicate opération de la fondation de leur nouvelle patrie concurremment avec leur seigneur.
Ce fut donc le 3 décembre 1443 que maître Raybaud Vesian (1), notaire public à Manosque, se transporta à la Roque de Volx et en présence du seigneur, des principaux habitants du lieu et, de nombreux témoins, dressa la transaction solennelle de la future translation de la communauté.
Il nous a paru intéressant de faire connaître les clauses de ce document qui nous apprend comment pouvait être organisée une opération aussi peu usuelle que le déménagement de toute une population et son installation dans de nouveaux pénates.
Voici le dispositif de l'acte :
« Le lieu de la Roque de Volx, au diocèse de Sisteron, avait été élevé et construit dans un lieu montueux et élevé et, cela à cause des temps troublés par les guerres qui sévissaient. Et de peur que ce même lieu, à cause de son accès étroit et périlleux dans la montée et la descente, ne soit dépeuplé, et parce que les habitants et demeurants de ce dit lieu cherchent à l’abandonner à cause des trop grandes difficultés et des trop grands périls des montées susdites — et à s'élever ailleurs des habitations plus commodes et moins ruineuses, (ce qui donnerait lieu à un préjudice non seulement pour le Seigneur mais encore pour toute la population du lieu susdit, si le lieu lui même et les habitations de la dite population étaient transportés ailleurs). Donc s'il n'est pas répréhensible déjuger que les conditions humaines doivent varier suivant la diversité des temps, à plus forte raison il n'est pas répréhensible de juger que ce lieu soit changé en un autre commode et utile à ces dits habitants et que les hommes de cette population soient poussés à habiter ce lieu.
Les seigneurs de la Roque de Volx à cette époque étaient Angélique de Brancas et son fils Jacques de Forcalquier (2).
La population de la Roque de Volx était représentée dans l'acte par François et Pierre d'Albanhan frères, Jean Ghambarelly, Antoine son fils, Bertrand Ayasse, Antoine Silbert, Faulque Appuhiey Pierre Estoublon, Philibert son fils, Elzéard Martin, Jean Serigol, Antoine de Opère, Guillaume Manaud, Jacques Paras, Etienne Rodigol, Monet Brun, Bertrand Mèinier fils d'André. Beranger et Bertrand, forgerons, frères et vénérable Messire.Guillerm Domin, prêtre ».
Tous ces noms sont familiers aux Provençaux et leurs descendants vivent encore parmi nous. Seule la famille
d'Albanhan s'est éteinte.. Cette famille très ancienne avait eu un de ses membres, Pierre d'Albanhan, chevalier, témoin dans la charte constitutive de la commune de Manosque, concédée le 12 février 1206 par Guillaume de Forcalquier.
La convention comprend dix-sept articles dont voici les principaux ; il fut convenu :
« Que le lieu serait transporté sur le monticule vulgairement appelé Puychalvert au territoire et juridiction dudit lieu.
» Que les habitants dudit lieu dériveraient ou feraient dériver la source appelée le Parat.
» Que sur le dit monticule ils construiraient des maisons d'habitation aux emplacements choisis par la volonté et consentement des seigneurs et des habitants et que, tout autour, ils élèveraient des remparts propres à la fortification et conformes aux exigences du lieu et de ce mode de construction.
» Pour couvrir les frais et dépenses de ces remparts les habitants s'engagèrent à fournir une contribution égale et proportionnelle de Un vingtième du blé, des légumes et des autres grains de quelque espèce qu'ils soient et aussi des raisins poussant sur le territoire dudit lieu et aussi des autres fruits et biens récoltés. Le vingtième sera semblablement perçu sur les profits des personnes quelles qu'elles soient, tant hommes que femmes, sur les agneaux et chevreaux et au-dessous de vingt les vingtainiers percevront quatre deniers pour n'importe quel agneau ou chevreau. Il sera perçu seize deniers pour chaque veau ou poulain de chevaux et quatre deniers pour chaque pourceau à naître. 11 sera perçu le vingtième sur la tonte de la laine des troupeaux des susdits habitants en général sur tous les autres fruits, gains et récoltes, à l'exception des poules et leurs poussins, des olives, des noix, des amandes et jardinages ayant crû dans le dit lieu. Et si il arrivait qu’un des habitants reçut quelque avérage gros ou petit par mégérie ou gain à moitié, le vingtième serait perçu sur la laine, les peaux, les poulains, les chevreaux ou agneaux, la portion des fermiers de ces avérages devant rester libre et affranchie du vingtième ».
Ce vingtième devait être perçu pendant vingt ans et s'il arrivait que les travaux fussent achevés avant ce temps, il serait supprimé ipso facto.
Tels sont les sacrifices que s'imposa la population de la Roque de Volx.
Voyons maintenant de quelle manière les seigneurs de la communauté coopérèrent à l'œuvre commune.
« Pour que les susdits habitants soient plus fortement encouragés à exécuter ce qui a été dit et pour que le lien d'amitié qui est entre les seigneurs et les sujets soit augmenté et croisse plus fortement, la dame et le seigneur donnèrent les grâces, libertés, immunités, franchises et prérogatives suivantes :
» Les habitants sont tenus vis-à-vis des seigneurs de la trentième partie du pain à cuire dans le four du seigneur dudit lieu pour droit de fournage : ils ne paieront plus que la quarantième partie.
» Les habitants sont tenus envers les seigneurs à raison de la servitude vulgairement appelée des trente sextérées de mescle de blé ; les seigneurs renoncent et remettent la dite servitude, mais seulement lorsque le lieu de la communauté sera changé et non avant, à condition cependant que les habitants présents et à venir soient tenus et attentifs à perpétuité à garder la porte de la dite place à construire, si la nécessité y force et cela à leurs propres frais et dépens.
» Les seigneurs.,, accordèrent à ces mêmes habitants un certain bois appelé « le Défens du Seigneur », situé devant le village du coté de l'orient, afin de pouvoir y faire de la pâture, couper du bois, chasser et faire tous autres usages que donne la concession d’un lieu. Gela lorsque le village sera transporté ou commencé de transporter et non avant. » Les seigneurs veulent que les dits habitants aient l'a liberté de recevoir librement à mégerie ou à mi fruit par quelque personne étrangère que ce soit... et puissent les envoyer paître et pâturer dans le terroir et district du lieu mentionné.
» Le défens vieux, réservé pour le pâturage des bœufs de labour, sera conservé à jamais et aucun autre avérage de bœufs n'y sera mené si ce n'est les bœufs des seigneurs et les animaux de bât des habitants, cela jusqu'à ce que les dits bœufs et animaux soient enfermés, et si on lés enferme tôt cette permission durera jusque à la fête de la Nativité de Notre Seigneur.
» Les seigneurs remettent aux habitants... toutes poursuites, transgressions, peines... des quelles ils pourraient être recherchés de tout le temps passé jusqu'au temps présent.
» Ils accordent que si durant le temps-de vingt années à partir de ce jour, ils vendaient les pâturages de glands du territoire, les habitants devraient percevoir la moitié du revenu de cette vente, mais si l'ouvrage des remparts et habitations à édifier était achevé plus tôt que le temps prévu, les habitants n'auraient rien à percevoir sur ce droit des glandages vendus.
» Ils promettent aux habitants que pendant ledit temps de 20 années ils seront affranchis de toute charge, taille ou quiste royales, à condition que les cotes touchant ou pouvant toucher les forains ayant des biens taillables dans le terroir soient cédées aux seigneurs pendant tout ce temps de vingt années. Et s'il arrivait que ledit ouvrage soit achevé et parfait avant le temps de 20 années, une fois l'ouvrage fini les seigneurs ne seront plus tenus de sauvegarder les habitants des tailles et quistes royales.
» Item les seigneurs... promettent et conviennent de faire transporter toutes choses et n'importe quel charroi de chaux, de sable et de pierres, nécessaires pour construire les remparts à leurs propres frais et dépens, les habitants étant tenus de faire et construire les fours à chaux nécessaires audit ouvrage, à leurs frais et dépens propres.
» Item il fut débattu, que ces concessions n'apporteraient aucun préjudice au droit seigneurial et domanial des seigneurs et leurs héritiers, notamment au droit de treizain sur les blés et grains et du 18e des raisins à porter à la cuve ou pour manger, au temps des vendanges, tous droits dus par les habitants à l'exception de nobles François et Pierre de Albanhan, de Georges fils du même noble François et de leurs héritiers en ligne mâle parce qu'ils furent exempts de la dite taille.
» Comme contre partie il fut stipulé que ces conventions ne pourraient «engendrer aucun préjudice aux droits, mœurs, usages, coutumes, privilèges, libertés, franchises et prérogatives du lieu et des habitants susdits.
» Enfin par un dernier article il fut entendu que les seigneurs pourraient là où il leur plairait le mieux dans le terrain dudit lieu, |e réserver et faire un défens pour tenir et conserver des lapins, ainsi et de telle manière que nul n'ose faire la châsse dans ce défens, de jour ou de nuit, sans la permission expresse des seigneurs susdits sous les peines à ordonner et fixer par les dits seigneurs ou leurs officiers ».
(SUIVENT LES FORMULES.)
Nous ne sommés pas fixé sur l'époque à laquelle la construction du village et des remparts fut terminée ; il est probable que le terme de 20 ans prévu dans la convention de 1443 fut dépassé, puisque en 1452 le roi René accorda aux habitants l'exemption de toutes taxes pendant 20 ans pour leur permettre de subvenir aux lourdes dépenses du transfert(3).
Trois siècles plus tard, à une date sur laquelle les historiens ne sont pas précis (sans doute entre 1740 et 1751) le village de Roquefort, dans les Bouches-du-Rhône, fut transféré intégralement d'une position voisine, sur l'emplacement qu'il occupe aujourd'hui. C'était pour ce village le deuxième changement, le premier ayant eu lieu plusieurs siècles auparavant.
Villeneuve n'est donc pas un exemple unique; en Provence, de ville transférée.
Léon de LOTH
Annales des Basses-Alpes 1928
(1) Raybaud Vézian était déjà notaire en 1412 et dut mourir celte même année 1443, car la copie de l'acte dont nous nous occupons fut faite par Gouet Raynaud qui se dit successeur de Raybaud Vezian défunt. — Les minutes de ces notaires sont, détenues par Me Tournatoire et son successeur Me Meyer, actuellement en fonction à Manosque. Gonet Raynaud figure sur les listes des notaires en 1443.
Une copie de cette transaction a été trouvée dans la maison où se trouve l'étude notariale de Volx ; nous en devons la communication à l'amabilité de Me Henri Boyer, notaire à Volx.
Une expédition contemporaine existait autrefois dans les archives de Villeneuve ; elle est tout au moins signalée en termes vagues et imprécis par l'abbé Féraud.
(2) Angélique de Brancas, fille de Buffile de Brancas et de Marcelle de Amorosis était veuve de Raymond de Sabran Forcalquier, fils de Louis de Forcalquier et d'Alayette de Villeneuve. De cette union Angélique de Brancas eut 4 enfants : Jacques, qui figure dans la transaction et qui mourut sans enfants en 1480 ; Gaucher, évêque de Gap et deux filles alliées aux maisons de Castellane-Salernes et de Montmeyan. Gaucher hérita de la seigneurie de la Roque de Volx après son frère Jacques et cette seigneurie passa après Gaucher à
Barthélémy de Brancas. Les Brancas restèrent seigneurs de Villeneuve jusqu'à la Révolution.
(3) Archives des Bouches-du-Rhône, B 1389, folio 160.